Data centers pollution : quel est le vrai coût environnemental du numérique

Data centers pollution : quel est le vrai coût environnemental du numérique

Des monstres invisibles : quand les data centers chauffent la planète

Ils n’émettent aucun bruit, n’ont pas d’odeur, et pourtant, ils consomment autant qu’une ville entière. Les data centers – ces bâtiments massifs pleins de serveurs – sont devenus les artères du numérique mondial. Mais leur appétit énergétique inquiète de plus en plus les scientifiques et les autorités publiques. Car derrière chaque clic, chaque vidéo en streaming ou chaque requête Google, c’est une quantité non négligeable d’électricité et de ressources qui est mobilisée.

Alors, faut-il revoir notre rapport au numérique ? À quoi ressemble réellement le coût environnemental des centres de données ? Et peut-on encore se permettre d’ignorer cette face cachée du cloud ?

Un secteur numérique devenu énergivore… et pas qu’un peu

Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), les data centers représentaient déjà autour de 1 à 1,5 % de la consommation mondiale d’électricité en 2022. Ce chiffre pourrait tripler d’ici 2030. Pire : une étude publiée dans Joule estime qu’en cumulant data centers, équipements réseau et terminaux utilisateurs, le numérique pourrait absorber jusqu’à 20 % de la consommation mondiale d’électricité dans les décennies à venir.

Pourquoi une telle explosion ? Tout simplement parce que nos usages du numérique se sont multipliés et intensifiés : vidéos en haute définition, intelligence artificielle, usage massif du cloud, objets connectés en essor constant… Chaque service repose sur des serveurs tournant 24h/24, 7j/7, alimentés et refroidis en continu. À titre d’exemple, une seule recherche Google consommerait autant d’énergie qu’une ampoule LED allumée pendant 60 secondes. Ramené à des milliards de requêtes par jour, cela commence à peser lourd.

Des chiffres qui donnent des sueurs froides

Les data centers consomment deux types de ressources majeures : l’électricité et l’eau. L’électricité alimente les serveurs, les dispositifs de sécurité, le système de refroidissement. L’eau, elle, sert souvent à refroidir les installations via des tours d’évaporation.

Quelques données à méditer :

  • Un data center moyen consomme autant d’électricité qu’une ville de 30 000 habitants.
  • En France, on compte environ 200 data centers répartis sur le territoire. À eux seuls, ils consomment près de 3 % de l’électricité nationale.
  • Un centre de données peut utiliser jusqu’à 5 millions de litres d’eau par jour pour son refroidissement – l’équivalent de la consommation quotidienne d’une ville comme Avignon.

Dans un pays comme les États-Unis, certains data centers sont implantés dans des zones arides. Ainsi, en Arizona, plusieurs associations ont tiré la sonnette d’alarme : comment justifier une telle consommation en eau dans un État toujours plus frappé par les sécheresses ?

L’intelligence artificielle, nouvelle ogresse du cloud

Le boom de l’IA générative (ChatGPT en tête) vient accentuer la pression. Selon des estimations de chercheurs de l’Université de Massachusetts Amherst, entraîner un seul grand modèle d’IA génère jusqu’à 284 tonnes de CO₂, soit autant que 125 allers-retours Paris-New York en avion. Et ce chiffre ne prend pas en compte l’impact des utilisateurs qui interagissent ensuite des millions de fois avec le modèle via le cloud.

Derrière l’apparente dématérialisation de l’intelligence artificielle, se cache donc une matérialité très concrète… et très émettrice.

Des géants du cloud pas si verts

Amazon Web Services (AWS), Google Cloud, Microsoft Azure… Les leaders du marché communiquent de plus en plus sur leur engagement écologique. Ils annoncent des objectifs de neutralité carbone, investissent dans les énergies renouvelables, vantent des algorithmes d’optimisation énergétique. Pourtant, des zones d’ombre subsistent.

Un rapport de Greenpeace publié en 2023 soulignait que certains acteurs se montrent peu transparents sur leurs pratiques énergétiques. Pire : malgré les engagements, une part importante de l’électricité provient encore de sources fossiles. Une analyse indépendante de TechJustice révèle ainsi que certains data centers européens, censés être « verts », fonctionnent en partie grâce au charbon polonais ou aux centrales à gaz, notamment en Allemagne et aux Pays-Bas.

La labellisation “green” devient parfois du greenwashing. Et pour les usagers, il est presque impossible de vérifier l’origine exacte de l’énergie utilisée pour stocker leurs mails ou héberger un site.

Peut-on construire des data centers durables ?

La réponse est oui, en théorie. Plusieurs initiatives montrent qu’il est possible de repenser ces infrastructures de manière plus écologique :

  • À Stockholm, un data center chauffe l’équivalent de 10 000 logements grâce à la récupération de la chaleur des serveurs. C’est ce qu’on appelle le « chauffage urbain numérique ».
  • En Islande, les data centers fonctionnent presque exclusivement grâce à la géothermie et l’hydroélectricité.
  • En France, le groupe OVHcloud explore des solutions de refroidissement immersif (où les serveurs baignent dans des liquides thermo-conducteurs) pour réduire la consommation d’énergie.

Mais ces exemples pionniers restent minoritaires. Et le principal problème reste inchangé : plus le numérique croît, plus ses besoins énergétiques s’accroissent, quelles que soient les innovations techniques.

Un besoin urgent de régulation et de sobriété

En France, la loi REEN (Réduction de l’Empreinte Environnementale du Numérique), adoptée en 2021, impose désormais aux collectivités territoriales de planifier leur transition numérique de manière plus responsable. Mais elle reste timide sur les acteurs privés. Surtout, il n’existe aucun cadre réglementaire contraignant à l’échelle européenne pour limiter ou taxer les émissions des data centers.

Des ONG comme The Shift Project appellent à aller plus loin, en instaurant une TVA différenciée pour les services numériques en fonction de leur intensité carbone, ou en intégrant un “score environnemental numérique” sur les plateformes. Une manière d’inciter les consommateurs à préférer des services moins énergivores, comme les emails “light” ou les moteurs de recherche écoconçus (type Lilo ou Ecosia).

Mais au-delà des lois et des normes, c’est bien notre rapport à la donnée qu’il faut repenser. Avons-nous vraiment besoin de stocker tous nos mails depuis 15 ans ? Les vidéos TikTok doivent-elles systématiquement être diffusées en 4K, sur mobile, en 5G ?

Comme le résume Serge Abiteboul, chercheur en informatique et membre du Conseil national du numérique : « Penser l’écologie du numérique, ce n’est pas simplement rendre la techno plus verte. C’est questionner nos usages, nos besoins, nos priorités. »

Vers un numérique plus responsable

Il serait absurde de diaboliser l’univers numérique. Les technologies offrent aussi des opportunités formidables pour surveiller la déforestation, optimiser les réseaux de transport ou suivre les émissions de gaz à effet de serre en temps réel. Mais encore faut-il que le prix écologique payé pour ces services ne dépasse pas leurs bénéfices.

Quelques gestes simples peuvent déjà faire la différence :

  • Limiter les vidéos en haute définition en mobilité.
  • Nettoyer régulièrement son cloud et sa boîte mail.
  • Privilégier les hébergeurs web engagés dans une démarche carbone neutre.
  • Utiliser des moteurs de recherche moins énergivores.

Le numérique ne sera jamais totalement « propre ». Mais il peut devenir plus sobre. Et plus juste. Cela passe par une meilleure information des citoyens, une régulation plus forte, et une vraie prise de conscience collective. Car derrière chaque giga consommé, il y a un impact réel. Et ce n’est pas parce que c’est « dans le cloud » que c’est éthéré.