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Agriculture développement durable : comment nourrir la planète tout en la préservant

Agriculture développement durable : comment nourrir la planète tout en la préservant

Agriculture développement durable : comment nourrir la planète tout en la préservant

Une équation délicate : nourrir 10 milliards d’humains sans épuiser la Terre

Avec une population mondiale qui devrait franchir la barre des 10 milliards d’ici 2100 selon les projections de l’ONU, une question cruciale se pose : comment produire suffisamment de nourriture tout en respectant les limites écologiques de notre planète ? Le défi est immense, car l’agriculture intensive, telle qu’elle est pratiquée depuis la révolution verte, a certes permis d’éviter des famines, mais au prix d’une lourde empreinte environnementale.

Sols appauvris, émissions de gaz à effet de serre, pollution des eaux, perte de biodiversité… La liste est longue. Pourtant, des alternatives existent. De nombreux chercheurs, agriculteurs, start-ups et ONG expérimentent déjà des modèles agricoles plus durables. Mais peuvent-ils répondre à la demande alimentaire mondiale ? Et avec quelle efficacité ?

Un système agricole sous tension

Aujourd’hui, le secteur agricole mondial est responsable de :

La situation n’est plus tenable. « L’agriculture industrielle actuelle repose sur des intrants fossiles et une logique d’optimisation à court terme qui détruit les écosystèmes », explique Philippe Pointereau, ingénieur agronome et directeur de recherche à Solagro. « Il faut un profond changement de paradigme. »

Des modèles alternatifs en expérimentation

Certaines pratiques agricoles, inspirées de l’écologie, se développent à contre-courant du modèle conventionnel. Elles remettent la santé des sols et la régénération des écosystèmes au cœur des priorités. Exemples ?

Ces modèles sont porteurs de promesses, mais peuvent-ils être déployés à grande échelle ? Selon une étude publiée dans Nature Sustainability (2020), une transition globale vers l’agroécologie permettrait de nourrir la population mondiale, à condition d’accompagner ce changement par une réduction des pertes alimentaires, une alimentation moins carnée dans les pays riches et des politiques publiques ambitieuses.

Technologie et agriculture : un duo prometteur, mais à encadrer

Faut-il tout miser sur la technologie ? Partisans d’une « agriculture de précision » et start-ups de la foodtech y voient un levier pour concilier rendements élevés et respect de l’environnement. Drones, capteurs connectés, robots désherbeurs, semences génétiquement optimisées… Les outils ne manquent pas.

Mais prudence : automatiser les fermes ne résout pas tout. « Ces innovations restent largement entre les mains de grandes firmes agro-industrielles. Elles risquent de renforcer la concentration des terres, la dépendance technologique et l’exploitation sociale des travailleurs agricoles », alerte Aurélie Trouvé, économiste et professeure à AgroParisTech.

Il s’agit de ne pas reproduire les erreurs du passé. La technologie peut être utile, mais elle doit s’intégrer dans une approche systémique, centrée sur les écosystèmes, les agricultures locales et les savoir-faire paysans plutôt que sur des solutions descendantes imposées par les marchés.

Changer les pratiques alimentaires : un levier puissant mais négligé

Et nous, dans tout ça ? La manière dont nous mangeons a un impact direct sur les modèles agricoles dominants. Selon une étude de l’ADEME, réduire sa consommation de viande rouge constitue l’un des gestes individuels les plus efficaces pour limiter son empreinte carbone.

Quelques chiffres à méditer :

Encourager une alimentation plus végétale, locale, de saison et moins transformée devient donc un impératif. L’éducation alimentaire, la fiscalité incitative (sur les aliments ultra-transformés ou à forte empreinte carbone) ou encore le soutien à la restauration collective bio sont des outils concrets pour impulser ces changements.

Focus : au Sénégal, l’agroécologie fait école

À 60 kilomètres de Dakar, le village de Kaydara est devenu un modèle d’agriculture durable. Depuis 2012, les habitants ont engagé une conversion agroécologique, avec l’appui de l’ONG Enda Pronat. Sorgho, mil, haricots, arbres fruitiers et légumes locaux sont cultivés en polyculture, sans engrais chimiques. Des haies vives protègent les cultures contre l’érosion éolienne. Les rendements ont doublé en dix ans, tout en régénérant les sols.

« Cela a changé notre relation à la terre », affirme Fatoumata Ndiaye, agricultrice et formatrice. « Avant, on labourait profondément et on jetait beaucoup d’engrais. Aujourd’hui, nos sols sont vivants, et on mange plus sainement. »

Ces initiatives, souvent portées par des femmes, sont une source d’inspiration pour d’autres pays du Sahel. Elles montrent qu’avec des techniques simples et un fort ancrage communautaire, des petites exploitations peuvent devenir des moteurs de résilience et de sécurité alimentaire.

Le rôle clé des politiques publiques

Changer de modèle agricole ne dépend pas uniquement des agriculteurs. Les politiques publiques ont un rôle majeur à jouer pour rendre ces transitions viables économiquement. Subventions, accompagnement technique, formation, accès au foncier… les leviers sont nombreux.

En France, le Plan Stratégique National (PSN), déclinaison de la PAC (Politique Agricole Commune), a été vivement critiqué par plusieurs ONG pour son manque d’ambition écologique. « On continue de subventionner majoritairement l’agriculture conventionnelle intensive », regrette Nicolas Girod, éleveur et porte-parole de la Confédération paysanne. « Il faut réorienter ces aides vers les pratiques agroécologiques. »

À l’inverse, certains pays comme l’Autriche ou la Suisse investissent depuis des décennies dans le soutien à l’agriculture biologique et aux petites exploitations familiales. Les résultats sont là : meilleure qualité des sols, faibles émissions agricoles, et valorisation du patrimoine paysan.

Un chantier collectif pour demain

Produire mieux plutôt que plus, régénérer les sols au lieu de les épuiser, diversifier les paysages agricoles, soutenir les circuits courts, mieux répartir la valeur dans les filières… Il ne s’agit pas de revenir à l’agriculture préindustrielle, mais d’envisager un avenir où la technologie, les savoirs locaux et la conscience écologique convergent vers un objectif commun : nourrir l’humanité sans compromettre ses conditions d’existence.

Et si nourrir la planète durablement n’était pas seulement une affaire d’agronomie, mais de société tout entière ? Un projet politique, culturel et humain, dans lequel chacun — paysan, consommateur, chercheur, élu — a un rôle à jouer.

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